La présence des orques induit un comportement d’évitement chez les grands blancs

Traduction de l’étude :  ©Thierry, Sauvegardes des requins / Synthèse : ©Sylvie, Sauvegarde des Requins / Photo : Johnny Orel

« Killer whales redistribute white shark foraging pressure on seals » : Salvador J. Jorgensen, Scot Anderson, Francesco Ferretti, James R. Tietz, Taylor Chapple, Paul Kanive, Russell W. Bradley, Jerry H. Moxley & Barbara A. Block / Scientific Reportsvolume 9, Article number: 6153 (16 avril 2019)

Le comportement prédateur et les effets de haut en bas dans les écosystèmes marins sont bien décrits, cependant, les interactions entre les prédateurs supérieurs concurrents restent mal comprises. Elles peuvent avoir des implications écologiques de grande portée. Les Orques et les requins blancs sont d’importants prédateurs du niveau trophique supérieur avec des niches très imbriquées, mais leurs interactions écologiques et leurs effets ultérieurs sont restés obscurs. Les scientifiques ont étudié les populations des Grands blancs et leurs interactions avec les orques sur les sites des Îles Farallon, Californie (Southeast Farallon Island : SEFI). Dans de nombreux cas, la présence des orques a conduit les Grands blancs à se rendre sur d’autres sites comme celui de l’île Ano Nuevo. Ce travail réalisé sur plusieurs années, met en évidence l’importance des effets de risque et des relations inter-espèces chez les grands prédateurs de l’océan.

Les prédateurs supérieurs (au plus haut du niveau trophique) jouent un rôle écologique important. La régulation de la densité des proies par la consommation directe des prédateurs est la forme de régulation des proies de niveau inférieur, la plus courante et connue. Cependant, on reconnaît de plus en plus des mécanismes non létaux ou à médiation comportementale, qui peuvent de manière similaire façonner la fonction et la structure de l’écosystème. Les mécanismes non liés à la consommation comprennent les « effets de risque » : les proies ne sont pas retirées, mais réagissent de manière comportementale à la présence d’un prédateur en réduisant leur activité ou en déplaçant leurs habitats pour réduire le risque. Les effets de risque peuvent avoir une incidence sur la densité des populations, sur leur condition physique, notamment une diminution du succès de la reproduction par la perte de possibilités de recherche de nourriture, une augmentation du stress et une augmentation de la demande en énergie associée à l’évitement des prédateurs.

De nombreux prédateurs supérieurs marins présentent un comportement migratoire et des agrégations saisonnières dans les zones d’alimentation. La recherche de nourriture saisonnière concentrée est cruciale pour soutenir le comportement migratoire chez de nombreux prédateurs et, inversement, l’afflux saisonnier de prédateurs peut avoir des effets régulateurs et comportementaux importants sur les populations de proies locales. Les perturbations dans de tels systèmes prédateur-proie peuvent donc avoir un impact à la fois sur la proie et sur le prédateur, avec des effets potentiellement en cascade

Si les interactions prédateurs-proies ont fait l’objet de nombreuses études, les interactions entre les principaux prédateurs sont, quant à elles, beaucoup moins connues. Les top prédateurs ont peu de prédateurs naturels. Cependant, la concurrence au sein de ces espèces peut entraîner des interactions complexes et avoir une incidence importante sur la répartition et l’abondance des populations de prédateurs. De nombreux prédateurs supérieurs marins présentent un comportement migratoire et des agrégations saisonnières dans les zones d’alimentation. La recherche de nourriture saisonnière concentrée est cruciale pour soutenir le comportement migratoire chez de nombreux prédateurs et, inversement, l’afflux saisonnier de prédateurs peut avoir des effets régulateurs et comportementaux importants sur les populations de proies locales. Les perturbations dans de tels systèmes prédateur-proie peuvent donc avoir un impact à la fois sur la proie et sur le prédateur, avec des effets potentiellement en cascade. En cas de cooccurrence entre les prédateurs supérieurs de ces sites, l’effet des interactions inter-espèces sur la dynamique des écosystèmes locaux reste relativement inconnu.

L’étude (2006-20013) porte donc plus précisément sur les interactions entre deux prédateurs supérieurs de l’océan, le requin blanc (Carcharodon carcharias) et les Orques (Orcinus orca). Entre 2006 et 2013, 165 requins blancs (Carcharodon carcharias) ont été marqués (marquage acoustique) dans les environs du sud-est de l’île Farallon, à Tomales Point , et Año Nuevo Island.

Les grands Blancs : Dans le nord-est du Pacifique (NEP), les requins blancs se regroupent de manière saisonnière dans les îles du Sud-Est Farallon (SEFI), sur l’île Año Nuevo (ANI) et dans d’autres colonies de pinnipèdes au large de la côte ouest de l’Amérique du Nord. Le moment choisi par les requins et la recherche de nourriture observée sont associés au halage saisonnier de jeunes éléphants de mer (Mirounga angustirostrous), une proie de prédilection consommée avant la migration extracôtière. Bien que les requins blancs se nourrissent également des cétacés, des téléostéens, d’autres élasmobranches et de divers pinnipèdes, leur ciblage saisonnier des éléphants de mer constitue une source constante de capital calorique. La répartition côtière des requins blancs NEP s’étend du nord du Mexique au Canada (et les années El Nino jusqu’aux eaux de l’Alaska).

Les orques : Les orques NEP vont du Mexique aux îles Aléoutiennes d’Alaska. Les populations d’orques du NEP forment des groupes sociaux distincts et stables (pods), qui diffèrent par la spécialisation du choix des proies (écotypes). Trois écotypes NEP reconnus, « résident », « transitoire » et « offshore », présentent une différenciation génétique et phénotypique. Les transitoires se nourrissent généralement de mammifères marins, y compris les éléphants de mer et les otaries, tandis que les résidents ciblent des téléostéens, principalement des salmonidés. L’écotype au large des côtes « offshore » est le moins connu, mais on pense qu’il cible principalement les téléostéens, notamment les salmonidés et les élasmobranches tels que les requins-dormeurs du Pacifique.

A noter :  les otaries de Californie (Zalophus californianus), les otaries de Steller (Eumetopias jubatus), les phoques communs (Phoca vitulina ricardii) et les otaries à fourrure (Callorhinus ursinus) se rendent également au SEFI à divers moments de l’année.

Les trois écotypes d’orques se chevauchent spatialement avec les requins blancs NEP (nord-est du Pacifique) et partagent des proies similaires, et peuvent donc être considérés comme faisant partie de la même niche écologique. Les chevauchements régionaux sont les plus importants à l’automne et au début de l’hiver, lorsque les requins blancs NEP affichent une fidélité élevée au site et des périodes de résidence prolongées sur le site SEFI ( îles du Sud-Est Farallon )ou d’autres sites de concentration côtiers près de colonies de pinnipèdes pendant environ 4 à 4,5 mois. Les observations d’interactions directes entre les orques et les requins blancs sont extrêmement rares, mais ont été enregistrées au large de la Californie, de l’Afrique du Sud et de l’Australie méridionale. Une interaction entre ces principaux prédateurs du NEP a été documentée le 4 octobre 1997 à SEFI, dans laquelle un requin blanc a été tué et partiellement consommé (foie seulement) par des orques migrateurs. Immédiatement après cet événement, les observations de requins blancs au cours des relevés réguliers effectués au SEFI ont décliné brusquement. Seules deux prédations par des requins ont été observées au cours des huit semaines restantes d’étude à SEFI.

Les prédations des Grands Blancs sur les éléphants de mer diminuaient les années où les orques se sont manifestés à SEFI.

Rôles écologiques et contexte des interactions orques-requins

Les orques « transitoires », qui ciblent les mammifères sont des concurrents directs, mais ils constituent également une menace prédatrice, comme l’illustre l’événement de 1997. Les interactions avec l’écotype « offshore » sont potentiellement prédatrices et compétitives. Les orques du large se nourrissent des téléostéens et des élasmobranches, dont les requins dormeurs du Pacifique, Somniosus pacificus fortement appréciés. Les orques « résidents » sont probablement un concurrent faible (pour les téléostéens) et potentiellement pas une menace de prédation. On ne sait toujours pas si les requins blancs peuvent distinguer une menace prédatrice d’une menace concurrentielle, mais le résultat pourrait être le même. À l’instar de la pression exercée par la prédation, une agression compétitive interspécifique peut également entraîner un comportement qui réduit les taux de rencontre, détermine l’utilisation de l’habitat et modifie les calendriers d’activité.

Les orques réduisent directement la densité de méso-prédateurs par la consommation et provoquent des changements dans le comportement et la distribution des proies en raison des effets de risque. De même, les grands requins peuvent exercer une influence directe de régulation sur leurs populations de proies.

Cette étude suggère que les interactions inter-espèces entre les orques et les requins blancs peuvent avoir des effets en cascade aux niveaux trophiques inférieurs en réduisant les effets de consommation (et éventuellement de non-consommation) sur les éléphants de mer. L’éléphant de mer du Nord connaît actuellement une expansion de son habitat et une croissance démographique rapide après un déclin dû à son exploitation par l’homme.

La consommation occasionnelle de foie hautement calorique de requins blancs peut conférer des avantages énergétiques auxiliaires à l’orque mais ces interactions létales directes ont un impact négatif sans équivoque sur les requins blancs. Mais les comportements d’évitement en réponse à la présence d’orques pourraient également avoir un impact sur l’aptitude du requin blanc en limitant l’accès à des habitats sous-optimaux ou plus compétitifs (plus densément peuplés). Les risques d’intimidation et de prédation affectent de manière généralisée des populations entières, pas seulement les individus tués directement. Les conséquences potentielles du déplacement des requins blancs devraient être évaluées dans le contexte écologique de leur phénologie migratoire.

Ces requins qui peuvent parcourir entre 1000 et 3000 kms doivent pouvoir stocker suffisamment d’énergie (calories) avant de commencer leur période de migration.

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